Contre le Renoncement, pour la planète !

Publié le par DAI

Contre les soumissions de la pensée

Le paradigme du Renoncement est très présent dans un certain discours militant écologiste. L’adverbe « renoncement » prend alors toute sa valeur référentielle : c’est un « mot plein », sans complément attendu (« renoncer à (…) »). L’idée force est totalisante, car le problème est… global ! Il faut renoncer, dans la mesure où l’« ère du renoncement » s’impose à nous tel un nouvel ordre des choses qui ne souffre aucune discussion (s’autoriser à penser peut parfois même être considéré comme un luxe qu’on ne peut plus se permettre en vertu de l’« urgence »).
Est présente dans cette idéologie du Renoncement une dimension quasi-théologique de l’abnégation, en tant que phase sacrificielle en tension avec une fin des Temps annoncée. Chaque individu est donc sommé d’intérioriser en lui cet impératif du Renoncement, en cela que chacun d’entre nous porte en lui, au seuil de ladite fin des Temps, la Culpabilité. Il faut donc renoncer. Pas par conviction, mais par obligation : nous-n’avons-plus-le-choix ! Or, cette injonction paradoxale – renoncer est un acte de volonté – pose pourtant de nombreuses questions, tant d’un point de vue des consciences que du point de vue politique.

Qui est cet individu à qui l’on s’adresse, déjà ? Dans une partie de l’opinion et des discours moralisateurs dits responsabilisants, il s’agit bien souvent du citoyen-consommateur, qui est présenté comme étant un acteur central des maux dont la planète a à souffrir. Dans ce type de représentations, cet individu réifié n’est en dernière analyse qu’une des « unités interchangeables » qui forment la cohorte des coupables : il ne comprend pas – pis : il ne veut pas comprendre ; donc il ne fait pas d’effort(s) ; donc il ne renonce pas à se séparer de « l’inutile », soit cette quantité de biens matériels issus de désirs qu’il prend pour des besoins. Dans un billet intitulé « L’écologie, c’est renoncer » (… un intitulé-programme !), tel bloggeur nous rappelle ainsi que cet individu dont il est question est le membre du « nous » qui ne comprend pas, à s’enferrer sans fin et avec délectation dans l’inutile… De tels propos plutôt « Hulot-compatibles » ne sont qu’une illustration de l’idéologie véhiculée par l’animateur qui, après avoir fait « tout ce que l’on pouvait faire » – notamment en dépolitisant les enjeux climatiques –, estimait en 2007 qu’« il y a un moment où c’est la responsabilité de chacun » (In Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI le 15 avril 2007). Car en dehors du fait que pour Nicolas Hulot, toutes sortes d’acteurs politiques sembleraient se valoir dès l’instant où ils sont prêts à apposer une signature sur un pacte, toute réflexion de fond sur le modèle et sur la nécessité d’engager un rapport de force politique pour faire reculer les desseins productivistes globalisants des chantres de la dérégulation ; du capitalisme financiarisé, etc. ne semble pas constituer sa priorité (lequel est par ailleurs allié à un gouvernement élu sur la base d’un slogan : «Travailler plus pour gagner plus », qui est une véritable déclaration de guerre au bénéfice du productivisme).

Le mécanisme instrumental est bien là : bien rares en effet sont les citoyens qui se déclareront ouvertement opposés à la nécessaire prise de conscience individuelle des enjeux écologiques et des gestes pour la préservation de la planète. Et c’est précisément ce puissant levier sur les consciences « individuées » qui, actionné sans fin sur un registre moralisateur ; émotionnel, va permettre d’éluder efficacement – et donc de retarder – les changements majeurs à entreprendre, tout cela au profit d’exhortations vertueuses portées par une vision du monde très… « centriste » ; où le mythe de la solution du « tout consensuel » est entretenu. Ces agents du divertissement - tels Yann Arthus Bertrand 1 également qui, lorsqu’il descend de son hélicoptère peut raisonnablement donner des leçons de morale au pêcheur pauvre de l’autre bout de la terre en lui expliquant posément et en substance que s’il continue à pêcher trop de poissons, il n’y en aura plus - nous divertissent au sens propre du terme, dans la mesure où ils nous détournent de l’opportunité de penser la radicalité politique qu’il faudrait envisager pour changer les modes de vie massifiés issus et insérés dans un modèle et une certaine idéologie, portés et amplifiés par des acteurs et des relais très puissants. Car si l’on constate en effet que dans les pays industrialisés, la sensibilité écologique fait désormais largement consensus ; que nombre de comportements quotidiens « éco-responsables » – soit correcteurs – semblent moins néfastes à l’environnement, ces actions fragmentaires – qu’il ne s’agit pas un instant de dénoncer ici – restent de portée bien modeste (…surtout si on s’interroge sur les causes et non sur les conséquences) et la meilleure conscience qu’ils peuvent procurer vient renforcer ce phénomène de divertissement. Quid pendant ce temps de l'indispensable interrogation du système global dans lequel la problématique écologique prend racine ?

Non : il ne s’agit pas tant que le citoyen-consommateur renonce à son mode de vie que de contraindre politiquement les acteurs économiques les plus puissants à ne pas violenter si brutalement les consciences en vue de créer cet emballement consommatoire au sein duquel l’individu devient plus agit qu’il n’agit ; où il finit par réagir à de violents stimuli issus de logiques et de logistiques de guerre sans réelles limitations. On peut ainsi dire que « l’objectif pour la planète » s’éloigne à mesure que le flux ininterrompu et de plus en plus dense de ces injonctions multiformes s’intensifie2. Il ne s’agit pas ici de déresponsabiliser le citoyen en tant que maillon d’une chaîne vertueuse : il s’agit davantage de démonter ladite « chaîne » afin de comprendre ses « ratées », là où la vertu devrait produire tous ses bénéfices. Le jeu de cette sollicitation permanente est donc bien un ressort majeur, en cela qu’il produit des effets qui ne postulent pas favorablement pour un appel à renoncement. Considérons par exemple, pour nous faire comprendre, qu’on ne renonce pas à des objets auxquels on ne tient pas ; que l’on ne désire pas : si l’« urbain » que je suis n’accorde aucune valeur symbolique particulière à la possession et à la jouissance d’un 4X4, cela signifie très concrètement que je n’aurai pas à y « renoncer » ! Plus largement, lorsque quelque objet-signe perd de sa valeur symbolique ou se charge en valeur négative, la question du renoncement ne se pose pas. Il convient en fait d’agir sur cette économie du désir que notre société fait efficacement prospérer dans les consciences sans véritables limites ni contrepoids, exacerbant ainsi les stratégies distinctives d’individus qui se sentent alors davantage et mieux exister s’ils possèdent l’objet préalablement transformé en objet de convoitise par son producteur et promoteur. Comme l’avait très bien analysé Baudrillard, il faut travailler la valeur – comme on travaillerait telle matière – celle-là même qui met d’accord les volontés individuelles lorsqu’elle s’impose comme un universalisme historiquement ; sociologiquement constitué.

1 On pourrait ici convoquer assez longuement l’écologiste Yann Arthus Bertrand, « photographe officiel de Ferrari, de Disneyland, du tournoi (équitable) de Roland-Garros et du Salon (propre) de l’agriculture, « YAB » a aussi offert ses services au groupe Total, protecteur des plages bretonnes et des décroissants birmans » (in CQFD n°49, oct. 2007), lequel a couvert pendant de nombreuses années le rallye Paris-Dakar avant de photographier la terre vue du ciel pour témoigner en hélicoptère de la beauté du monde (il est notamment l’inventeur de l’émission de télévision « compensée en taxe carbone », pour l’achat de fours au Cambodge afin de « compenser les montagnes de kérosène, de chlore, de bois et d’emballages qui abreuvent sa marchandise » (ibid)

2 ... sachant qu’il est illusoire de penser que les gains technologiques réalisés par la production industrielle pour produire certains objets moins polluants ; plus « propres » (…et plus économes en matières premières), constituent une avancée significative si l’on considère la constance de l’accroissement en volume de la consommation qui s’opère dans le même temps.

Publié dans Sociologie

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